François Montmaneix et Béatrice de Jurquet, Le Phœbus, Lyon, 16 avril 2003
© O. Alloyan
Un métier plein d'avenir

Je viens d’apprendre le décès de François Montmaneix, poète lyonnais, ancien directeur de l’auditorium Maurice-Ravel à Lyon — dans lequel il a créé l’Artrium, galerie d’expositions — et membre fondateur du prix Roger-Kowalski. Après Marc Porcu l’année dernière, c’est hélas un poète de plus qui nous quitte. Un vrai poète, doublé d’un amoureux des arts, grand connaisseur de la peinture contemporaine.

Avec Georges Hassomeris et le Collectif (SIC) nous l’avions invité, en compagnie de Béatrice de Jurquet, au bar Le Phœbus à Lyon le 16 avril 2003, dans le cadre du cycle Poésie en lecture. Une très belle soirée, émouvante, intense, bercée par la voix suave de ces deux auteurs à l’écriture sobre et raffinée. Deux vers de François Montmaneix m’avaient alors particulièrement marqué, résumant à eux seuls l’atemporelle vocation du poète — vocation qu’il avait si bien faite sienne : « Interroger les temps qui viennent / est un métier plein d’avenir ». Quelques jours auparavant, en préparation de cette lecture, Georges et moi nous nous étions rendus chez François, où se trouvaient également Béatrice de Jurquet et Claude Burgelin. Ensemble nous avions longuement parlé de poésie, un peu de géopolitique, et surtout beaucoup ri — l’humour étant l’un des traits de cet homme de lettres sémillant, parfois espiègle, capable de la plus lucide autodérision comme de la moquerie la plus tendre, jamais méchante.

J’aimais beaucoup François Montmaneix. Homme pudique et auteur prolifique, certes plutôt conservateur sur le plan politique mais très engagé sur le plan culturel, c’était avant tout un poète, profond, subtil, inventif, aux accents lyriques contenus et à l’intelligence vive, à la langue classique mais toujours imagée, au verbe délicat mais toujours énergique. Un souvenir plus ancien me revient à l’esprit. Au début des années 1990, un soir, nous nous étions réunis à la Brasserie le Caveau, place Antonin Poncet à Lyon, avec un certain nombre de poètes, sous l’impulsion de l’association Poésie-Rencontres. Chacun était invité à lire un poème d’un auteur de son choix. François avait ainsi lu le poème « La soirée » de Jorge Luis Borges, poème que je connaissais par cœur et dont j’avais récité le début à voix basse en même temps qu’il le lisait. Tout au long du repas nous avions ensuite partagé notre passion commune pour l’œuvre de Borges, auteur auquel il ressemblait par son érudition, sa clairvoyance, sa modestie et, surtout, par la rare élégance de son style comme par son ton toujours plaisant.

Je me rappelle aussi cet après-midi de février 1993 au théâtre des Célestins, à Lyon, où il organisait des spectacles poétiques sous le titre Espace Poésie. Ce jour-là il avait conçu et réalisé le magnifique spectacle « Une Route de la Soie », donnant à entendre la voix de nombreux poètes d’Asie Centrale et du Proche-Orient. Je n’ai jamais oublié les vers du poète persan Saadi qu’il avait alors lus sur scène avec cette retenue qui le caractérisait : « Ne pleure pas sur les morts, / ils ne sont plus que des cages / dont les oiseaux se sont envolés ».

Ne pleurons pas François, il est une page du recueil des voix dont les mots s’envolent jusqu’à nous.


Stéphane Juranics,
24 octobre 2018